Ci-après le texte de mon article publié dans le numéro 448 des cahiers pédadogiques (numéro consacré à l'utilisation du jeu en classe).
Dans le supérieur, étudiants et collègues sont-ils prêts à accepter que le jeu fasse partie des méthodes pédagogiques ? Oui, s’il est préparé et utilisé avec autant de rigueur que d’inventivité.
Dès mes premiers pas dans l’enseignement, je me suis intéressée à l’utilisation du jeu en pédagogie. Je cherchais alors des moyens pour varier les situations d’apprentissage et suivre ainsi le conseil d’Alain Rieunier : « Variez vos situations d’apprentissage, utilisez toute la palette des possibles, amusez-vous, surprenez-les, c’est la meilleure manière de les intéresser ».
J’avais, au départ, quelques doutes sur le sérieux d’une telle démarche et sur la façon dont elle allait être accueillie par les étudiants et par mes collègues. J’ai alors effectué des recherches sur internet et je me suis aperçue que si le jeu disparaissait généralement de l’enseignement à partir du collège, il réapparaissait par la suite dans les formations en entreprise (cf. les sites du CIPE et de l’association Permis de Jouer). Cette découverte m’a rassurée : si le jeu était assez sérieux pour les entreprises, il le serait aussi pour des étudiants.
Par la suite, sa mise en œuvre a confirmé, et même dépassé, mes espérances. Depuis, je continue à utiliser avec conviction ce support pédagogique peu répandu et pourtant si efficace.
Création ex-nihilo
La première raison qui m’a incitée à utiliser le jeu dans mes cours était de proposer des situations d’apprentissage variées, mais ce n’était pas le seul objectif. Je comptais également sur le jeu pour susciter l’intérêt et la motivation des étudiants et les inciter ainsi à participer activement au cours.
J’ai toujours pris beaucoup de plaisir à apprendre de nouvelles choses et je souhaitais faire partager ce plaisir à mes élèves : c’est pour moi un moteur essentiel à leur formation. En effet, les connaissances qu’ils acquièrent dans le cadre de leurs études devront être complétées tout au long de leur vie au fur et à mesure de leur évolution professionnelle ; il ne suffit donc plus de leur enseigner les techniques qu’ils utiliseront durant les premières années de leur vie professionnelle, il faut également leur apprendre à apprendre.
En fait, j’ai commencé par le plus difficile, c’est-à-dire la création ex-nihilo d’un jeu de simulation sur la gestion des stocks. Ce n’est que par la suite que j’ai découvert des astuces pour créer des jeux de façon bien plus simple.
L’idée du jeu de simulation m’est venue lors de mon stage IUFM au lycée hôtelier de Biarritz où j’enseignais la gestion hôtelière. Je voulais faire appliquer aux élèves différentes méthodes de gestion des approvisionnements, ce qui nécessitait la tenue de fiches de stocks sur lesquelles inscrire au jour le jour les entrées et les sorties. Je craignais que cet exercice ne soit terriblement fastidieux et c’est pourquoi j’ai eu l’idée de faire intervenir des éléments ludiques tels que la détermination aléatoire des quantités consommées ou du respect des délais de livraison par le tirage de dés. De fil en aiguille, j’ai construit un véritable jeu de simulation avec des règles soigneusement étudiées et un matériel de fortune.
Cette séquence de cours a été une grande réussite :
- les étudiants ont été particulièrement intéressés et ont participé activement au cours,
- les résultats qu’ils ont obtenus à l’évaluation ultérieure ont été meilleurs que ceux obtenus habituellement.
J’ai retiré de cette expérience la certitude que le jeu était un formidable outil pédagogique, particulièrement efficace mais difficile à manier. En effet, il nécessite une préparation sans faille pour éviter les temps morts et les « dérapages » qu’il risque de susciter. De ce fait, il est nécessaire de tester le jeu à l’avance dans ses moindres détails et d’éliminer les facteurs de perte de temps. Il faut ainsi simplifier au maximum les règles à suivre, tout en veillant à ne pas tomber dans un excès de simplisme. Trop de réalisme tue la jouabilité du jeu en multipliant les règles à mémoriser et à prendre en compte, mais à l’inverse, une trop grande jouabilité éloigne la simulation de la réalité et lui fait perdre son intérêt pédagogique. Il faut trouver un compromis entre ces deux extrêmes, qui ne sacrifie ni le plaisir du jeu (sa jouabilité) ni son intérêt pédagogique (son réalisme). Pour cela il faut veiller à distinguer l’essentiel de l’accessoire. J’ai d’ailleurs fait de cette étude le sujet de mon mémoire IUFM.
Les jeux-cadres
Cette séquence de cours m’avait demandé tant de travail (plus de vingt heures de préparation pour deux heures de cours) qu’il me semblait impossible de généraliser cette approche. C’est alors que j’ai découvert le principe des jeux-cadres de Mr Thiagarajan tel qu’expliqué par Bruno Hourst : « les jeux comportent deux blocs bien distincts : le contenu du jeu (l’idée du jeu) et les procédures pour jouer (les règles). Le concept de jeu-cadre, au départ, est de considérer le jeu comme une structure vide pouvant être remplie de différents contenus, permettant ainsi de l’adapter à de très nombreuses circonstances d’apprentissage, de réflexion, de recherche d’idées, de simulation, etc. »
Je me suis ainsi lancée dans le détournement de jeux connus. Je me suis tout d’abord inspirée du Trivial Pursuit pour créer un jeu de plateau permettant de réviser de façon ludique le programme de gestion hôtelière de première technologique. Là encore, l’idée a remporté un franc succès. J’ai fait jouer mes élèves lors d’un cours planifié une veille de vacances, moment habituellement peu propice à la concentration et aux efforts. A ma grande surprise, ceux-ci se sont tellement pris au jeu qu’ils sont même restés quelques minutes après la fin du cours pour terminer la partie.
J’ai ensuite renouvelé à plusieurs reprises l’expérience du jeu-cadre à l’IUT de Bayonne. J’ai ainsi créé un jeu de bingo pour faciliter l’apprentissage de la structure des numéros de comptes du plan comptable général. Pour y jouer, je distribue aux étudiants des grilles de 25 cases dans lesquelles sont répartis au hasard les numéros des comptes et les libellés correpondants, puis je tire un à un des cartons sur lesquels sont inscrits les mêmes numéros et libellés. Contrairement au bingo classique, les cases validées ne sont pas celles identiques aux jetons tirés mais celles qui complètent les paires : par exemple, si je tire le jeton portant le numéro 40, la case à valider est celle portant le libellé correspondant à ce numéro, c’est-à-dire « fournisseurs ». La case portant le numéro 40 ne sera quant à elle validée que si je tire le jeton portant le libellé « fournisseurs ». L’objectif du jeu reste le même que pour un bingo classique : valider le maximum de cases alignées.
Dans le même esprit, j’ai créé des cartes de mémory pour faire travailler les numéros de comptes correspondant aux chapitres étudiés dans des cours de comptabilité plus avancés : emballages, paie, écritures d’inventaire, financement, etc.
Je trouve également l’inspiration dans les jeux de mon enfance :
- chercher l’intrus,
- trouver les erreurs,
- associer des paires,
- remettre des éléments dans l’ordre,
- remplir une grille de mots croisés,
- suivre le cheminement d’un texte du type « un livre dont vous êtes le héros »,
- etc…
J’utilise en particulier souvent le logiciel gratuit « mots entrecroisés ». Simple d’utilisation, il suffit de saisir les mots clés du cours et de le laisser générer les grilles à la taille souhaitée. Les mots croisés sont une excellente façon de faire réviser des contenus conceptuels : normalisation comptable, termes techniques du contrôle de gestion, etc.
Changement d’attitude
Il faut garder l’esprit en éveil car l’idée d’un détournement pédagogique nait souvent de façon inattendue à partir d’un détail. Une fois le principe des jeux-cadres assimilé, créer des jeux devient très simple et ne nécessite aucune compétence particulière à condition de respecter deux impératifs :
- tester de façon approfondie le jeu avant de l’utiliser afin d’éliminer tout ce qui pourrait nuire à sa fluidité,
- expliciter l’objectif pédagogique de la séquence ludique avant de faire jouer les élèves : jouer c’est sérieux !
L’utilisation du jeu a répondu pleinement à mes attentes. Elle a suscité l’intérêt et l’adhésion de mes étudiants. Ceux-ci participent activement à chaque fois que je leur propose des activités ludiques et ils obtiennent d’ailleurs de très bons résultats à l’évaluation finale.
De plus, j’ai remarqué une évolution très favorable de leur attitude : ils prennent plaisir à venir en cours et finissent par trouver intéressantes des matières pourtant considérées comme rébarbatives en début d’année (la comptabilité générale en particulier). De ce fait, ils participent plus activement et s’investissent davantage dans leurs apprentissages, même lors de séquences de travail classiques. Je pense que ce changement d’attitude est essentiel, et qu’il justifie à lui seul l’utilisation du jeu en cours.
Le jeu n’est cependant pas une solution miracle. Son utilisation n’est qu’un des éléments de mon approche pédagogique qui mise aussi sur la variété des situations d’apprentissage, la progressivité dans l’introduction des difficultés, l’évaluation formative, le renforcement positif, etc ... Si je suis persuadée que le jeu joue un rôle important dans sa réussite, je suis incapable d’isoler celui-ci des autres éléments.